La ferme à Hangzhou

Nous avons cette fois-ci pas mal tardé à vous donner des nouvelles mais nous avons ici un programme chargé, vous en jugerez par vous même !
Alors reprenons où nous en étions restés, notre départ de Pékin pour Hangzhou !

15h de train ... 

A la gare centrale de Pékin, la maison sur le dos

Comme nous l'avions évoqué, nous nous sommes retrouvés en places assises dures (hard seat) dans le train de nuit pour Hangzhou...
Honnêtement on avait imaginé ça plus inconfortable, ou plutôt différemment inconfortable ! On pensait devoir affronter les crachats et les fumées de cigarettes, et bien rien de tout ça ! D'ailleurs un petit écriteau dans le wagon le stipule bien : interdit de fumer et interdit de cracher !

Ce même écriteau précise aussi qu'un wagon peut contenir jusqu'à 122 personnes et ça c'est vrai parce que quand il n'y a plus de places assises, on peut toujours acheter une place debout...

C'est plutôt ça le côté inconfortable d'ailleurs : le couloir du train est rempli de gens debout qui s'affalent sur le dossier de ton siège pour se reposer un peu, qui s'assoient par terre quasiment sur tes pieds et parfois tu te réveilles en plein milieu de la nuit avec une tête quasiment sur tes genoux...
Enfin bon, je dis "tu te réveilles", encore faut-il avoir réussi à s'endormir malgré :
- les gens de l'équipage qui hurlent pour communiquer entre eux
- la lumière néon qui ne s'éteint jamais
- le souffle glacé du climatiseur qui t'arrive juste sur le dessus de la tête et les jambes
- les gens qui te marchent sur les pieds pour aller chercher de l'eau chaude pour manger toujours plus de soupes instantanées
- et si tu as la chance d'avoir une place côté couloir et au bout du wagon comme nous, il te faut aussi compter sur le chariot de nourriture qui fait demi-tour sur tes pieds environ toutes les heures...

Vous vous en doutez, nous n'avons pas beaucoup dormi mais ceci dit on n'abandonne pas pour autant la possibilité de voyager en hard seat à l'avenir, il faut juste veiller à bien obtenir une place côté fenêtre pour pouvoir se caler pour dormir et c'est tout à fait jouable ! La place debout en revanche, on ne tentera pas...

Arrivée à Hangzhou
Et nous voici donc débarqués à Hangzhou où nous pensions bien pouvoir glaner quelques degrés supplémentaires et ainsi alléger les sacs ! Effectivement en ville il fait plus chaud (23° aujourd'hui) mais nous partons dans les montagnes et même si nous ne sommes qu'à 1h30 de route de la ville, le climat ici est bien différent ! Les nuits par exemple sont glaciales même quand la journée est chaude !

Le centre de permaculture / ferme où nous nous trouvons est situé dans un petit village appelé Dipu au nord-ouest d'Hangzhou . Pour s'y rendre il faut prendre un bus public puis un minibus de village, aucun touriste à l'horizon bien évidemment... Heureusement qu'on a quelques bases en chinois pour pouvoir demander aux gens de nous prévenir quand nous arrivons à la bonne station car rien n'est écrit nulle part.

L'endroit est tenu par Thomas et Lia, lui est américain de Seattle, elle est chinoise, native de la région.
Ils ont décidé de monter ensemble il y a 3 ans le premier centre de permaculture de Chine où ils dispensent des cours et accueillent des volontaires intéressés par le concept.
Mais qu'est ce que la permaculture nous demandez vous ?
On va essayer d'expliquer ça simplement...

La permaculture est une forme d'agriculture biologique et un idéal de vie, où le but ultime est de parvenir à une abondance de nourriture, à proximité de chez soi, et ce en limitant les efforts (souvent inutiles).
On peut penser de prime abord que c'est de l'agriculture pour fainéant, mais si c'était si simple, tout le monde le ferait depuis belle lurette !

Le mot-clé qui revient dans cette forme d'agriculture-pensée est le "design".
En effet, la première année, un bon "permaculteur" va observer les caractéristiques de son environnement sans intervenir. C'est une longue phase d'observation pure et dure. 
- Etat de la terre et de sa composition
- Dénivelé de terrain
- Moyennes et maximales des températures et cycle des saisons
- Pluviométrie
- Exposition de son terrain à l'ensoleillement
- Source ou pas source d'eau à proximité
- Végétation sur son terrain et alentours (pâtures, prés, marre, étang, ou forêts naturelles)
- Faune

Après la première année, le permaculteur connait beaucoup mieux son espace, a pu concevoir son projet sur papier puis sur le terrain et ainsi planter les légumes, les arbres fruitiers et les baies là où cela lui semble le plus logique. Pour ce faire, il prend en compte l'ensemble de ces paramètres.
Par exemple :
- faire attention à l'ombre des arbres existants pour les plantes qui ont besoin de soleil
- repérer les zones les plus humides du terrain, pour y planter par exemple de la menthe tout en ayant en tête que les aromates seront plus facilement utilisables si on les plante près de la maison et de la cuisine !
- Au contraire, planter ses arbres fruitiers le plus loin de la maison, car la récolte se fait une fois par an, et l'ombre qu'ils donnent peut nuire à l'espace cultivable pour les légumes

En gros il s'agit de faire cohabiter du mieux possible les hommes, les animaux et les plantes afin d'améliorer les relations qu'ils entretiennent et de les rendre les plus naturelles, respectueuses et fructueuses possibles.
Rendre la nature meilleure en en faisant partie, intelligemment.

Notre maison dans les montagnes

La courge Lufa qui une fois séchée....

... devient une éponge bien pratique pour la vaisselle !

Tout autour de la maison, des tas de compost dans lesquels on plante directement !
Ici des haricots. Et dudu notre petit chien favori à droite

Végétation luxuriante et la maison au fond à droite

Les montagnes

Prémices de l'installation d'un tipi 

Avec les montagnes comme seule vue
(même s'il fait tout gris sur la photo)

Nos activités
En ce moment il y a 5 autres bénévoles avec nous, tous chinois venant de différentes régions du pays. L'ambiance est vraiment super et on a l'impression de former une vraie petite équipe, on en reparlera un peu plus loin.

La ferme comprend différentes parcelles de terrain dans les montagnes et une parcelle dans le village. Il y a quelques animaux : un cochon espiègle, 4 poules, 2 coqs et un petit chien nerveux.
Ici on est loin des objectifs de rendement qu'on avait pu constater dans la ferme de Pékin, on est là pour tester des nouvelles pratiques, observer leur fonctionnement ou non, innover et se faire plaisir.

Le projet principal sur lequel nous travaillons en ce moment est de réhabiliter la parcelle située dans le village en un parc. Le terrain à la base est une friche avec quelques pommiers. L'idée est d'avoir une petite marre, un fossé de récupération des eaux de pluie pour l'irriguer, un joli chemin qui passe tout autour, etc. A nous donc les faucilles pour défricher, les pelles pour creuser et le niveau pour contrôler tout ça.

A gauche le défrichage a commencé, à droite l'état initial de la parcelle

Le parc dans son état actuel

On creuse la marre

Vérification du niveau avec un niveau à eau
(un long tuyau fixé à un mètre de chaque côté, un peu de sauce soja pour colorer l'eau et hop)

La fosse pour les eaux de pluie

Ca creuse sévère

Fosse terminée

Mais heureusement on ne fait pas que ça, nos bras en souffriraient trop !
Parmi les activités plus légères, on fait pas mal de transformation alimentaire pour adoucir l'hiver qui ne va pas tarder à arriver !
Le jour de notre arrivée nous avons fait de la crème de marrons pour conserver la multitude de châtaignes qu'ils récupèrent ici. Avec les clémentines du voisin (on peut difficilement faire plus local !) on s'est aussi lancés dans la confection de sirop de clémentines et de fruits en conserves.

Stérilisation des bocaux

Clémentines en pots

Délicieux sirop de clémentines ! 

J'ai fait aussi de la couture avec Lia pour finir de confectionner le tipi en toile de coton, un sacré boulot car le morceau de tissu est gigantesque donc fatiguant à manipuler.

En tous cas j'ai pu constater que les soucis de machine à coudre c'est universel : le fil qui se coince, l'aiguille qui se casse... Mais j'ai pu apprendre à utiliser une vieille machine à pédale sans électricité, ça c'est chouette !

Ici on sent beaucoup de créativité chez tout le monde, chacun est libre de proposer des projets, de suivre ses envies.
Pour ma part, j'avais envie depuis quelques temps d'essayer de faire de la lessive à base de cendres, ce qui a intéressé pas mal de monde. Alex lui avait envie de faire du levain pour nous faire du bon pain, au grand plaisir de toute l'équipe évidemment !

Tous les jours une personne différente s'affaire en cuisine et notre tour est particulièrement attendu. La Chine c'est un peu comme la France à ce niveau : on parle tout le temps de nourriture et on aime manger ! C'est vraiment surprenant comme tout le monde sait cuisiner ici, même celui qui n'aime pas ça sait faire revenir des petits légumes avec sauce soja et ail sauté.

Quand c'est notre tour on va au marché tôt le matin, prendre un petit bain de foule à se faire dévisager par les locaux qui se demandent ce qu'on peut bien faire ici. Là encore les gens sont très gentils, le commerçant nous offre une cigarette (ça a l'air d'être le geste social par excellence) de la ciboulette et des piments.

Initiation à la confection de raviolis chinois avec Lia

Jimmy et Lia

Jueza et Kaidi

Alex et ses pancakes à la banane

Moi et mes choux à la crème

Autant vous dire que nos recettes ont fait fureur. Surtout hier soir quand on a sorti le grand jeu : mayo maison, frites (et ouais les copains !), oignons frits, risotto et choux en dessert.
Tout a disparu en un temps record.

Une autre de nos activités est la réalisation d'un poêle à bois dans une des chambres de la maison.
On a commencé par faire des tests en extérieur avant de tout déménager à sa place définitive.
On a fait ce qu'on appelle un rocket stove.
Le principe est simple : un foyer de taille réduite mais avec une bonne pénétration de l'air ce qui fait que ça brûle en hauteur dans une grande cheminée. On n'y place que des brindilles ce qui réduit la consommation de bois et diminue les émanations de fumées.

Et ici, le combustible c'est essentiellement du bambou évidemment

Ca marche alors on numérote tout pour s'y retrouver
et on réinstalle ça dans la chambre !

Kaidi et Alex s'assurent que tout est bien à niveau

Ensuite à côté de ce poêle et sur les tuyaux d'évacuation de la fumée, on a décidé de fabriquer un lit en terre crue qui pourra donc être chauffé par le poêle !
Et la terre crue c'est rigolo ! On mélange de l'argile, de l'eau et du sable, on met une musique rythmée, on enlève ses chaussures et on piétine tout ça en équipes !

La terre crue c'est trop fun !

L'élaboration du lit/banc

Et pendant ce temps...
Et à côté de toutes ces activités, on prend le temps de faire connaissance avec tout le monde, de partager des moments bien agréables. C'est incroyable comme les gens ici sont gentils et comme on s'est vite liés d'amitié avec eux.
On découvre tout un tas d'aspects de la culture chinoise et on leur parle aussi beaucoup de la France !

La chance que nous avons c'est que ce sont des personnes en marge de leur société, l'agriculture biologique ici c'est plutôt original ! Ils ont donc un regard critique sur leur gouvernement et sont prêts à en parler ouvertement. Ce qui nous a le plus surpris c'est la discussion que nous avons eu sur Tiananmen.
Jiji, qui a beaucoup voyagé en dehors de la Chine, nous a raconté qu'elle avait appris ce qui s'était passé à Tiananmen il y a peu de temps, en discutant de la Chine avec des Thaïlandais en Thaïlande ! Elle se souvient qu'à l'époque sa maîtresse lui avait expliqué que plein d'étudiants étaient venus à Pékin se réunir pour quelques jours puis étaient tous repartis contents de leur réunion. Depuis elle n'en avait plus jamais entendu parler, ici le gouvernement fait vraiment du bon boulot pour cacher les informations...

Cérémonie du thé avec Chen Qi et Kaidi 

Cours de calligraphie

Un sujet de conversation qui revient aussi beaucoup c'est l'école !
Tout le monde nous raconte comme l'école en Chine est exténuante pour les enfants. Le rythme scolaire est effréné, apparemment jusqu'à l'université, les enfants et les jeunes passent tout leur temps à étudier, ici pas de temps libre et bien peu de récréation, il faut être bon et on te met la pression à fond !
On en a eu un petit aperçu quand on a entendu une étrange musique (nous habitons juste à côté d'une école) retentir peu avant 14h...



"Oh c'est l'heure du massage des yeux !", nous a-t-on expliqué. Le ministère de l'éducation a imposé un temps de massage des yeux tous les jours à l'école pour moins fatiguer les enfants. Ça doit durer environ 6 minutes et après hop on retourne au turbin !

Avec les chinois on rigole beaucoup, on a une forme d'humour pas si différente au final : des jeux de mots surtout, avec leur langue c'est simple puisqu'un seul mot peut vouloir dire tout un tas de choses selon la manière dont on le prononce. Ils sont aussi très ironiques et second degré, comme nous !

Un moment assez surprenant de cette semaine a été l'escapade de Jinny le cochon. En pleine après-midi, Jinny a en effet décidé de venir nous rendre une petite visite à la maison. Il faut savoir que normalement il est dans un enclos électrifié tout en haut des montagnes. On ne sait pas bien comment il en est sorti ni comment il a trouvé la route jusqu'à la maison, mais le voilà bien décidé à rester ici...

Ne sachant pas bien comment s'y prendre pour aller le ramener dans les montagnes, on a décidé de déplacer l'enclos et de lui offrir une nouvelle maison, temporairement.
Voici dans quel état il a transformé ce petit bout de terrain en seulement 3 jours :

Moralité, si vous voulez une marre chez vous, commencez par acheter un cochon.

Visa et la suite du voyage

Nous avons fait un passage éclair dans la grande ville pour s'occuper de cette délicate question des visas.
On espère pouvoir prendre le temps de découvrir Hangzhou avant de partir car ça fait 2 fois qu'on l'aperçoit et qu'on aimerait en voir plus...

Thomas et Lia nous avaient facilité la tâche en nous emmenant au poste de police de chez eux pour qu'on y récupère un papier de la plus haute importance : la preuve qu'on dort bien quelque part en Chine. Sans ce papier, impossible d'avoir un renouvellement de visa. Quand on dort à l'hôtel l'inscription à la police est faite automatiquement, pas besoin de s'en soucier, il faut juste récupérer le papier.

La bonne nouvelle c'est que notre renouvellement a été accepté et qu'on récupère nos nouveaux visas le 7 novembre. Il a fallu affronter les questions d'une agent de police fort suspicieuse qui voulait tout connaitre de notre planning pour le prochain mois, et qui s'étonnait qu'on aille dans des fermes plutôt que d'aller faire du tourisme... Mais c'est bon ! Nous avons donc 30 jours supplémentaires pour découvrir le pays.
Notre plan initial était de partir directement à Kunming dans le Yunnan mais nos discussions avec Jiji et Kaidi nous ont fait changer d'avis.

Alors que notre questions existentielle du moment était de savoir si on passerait ensuite par le Laos ou le Vietnam pour aller au Cambodge on a peut-être décidé d'aller faire un tour à Taiwan, puis ensuite aux Philippines, on quitterait donc la Chine un peu plus tôt que prévu. Ils nous ont recommandé Taiwan avec tellement d'insistance, évoquant la gentillesse de gens, les sortes de fruits plus surprenantes les unes que les autres, etc.
Nous mettons tout ça au conditionnel parce qu'on se laisse encore le luxe de changer d'avis ! On a le temps après tout !
Nous partirons en tous cas avant la fin de la semaine prochaine pour Canton, dans le sud de la Chine : cette région où on ne parle pas le mandarin mais le cantonais. Ça non plus ce n'était pas prévu mais on en a envie, ça a l'air d'être encore une culture à part.

Nous profitons encore des derniers jours à la ferme et surtout des gens.
Mon objectif actuel : finir d'apprendre "Il était un petit navire" à Kaidi



Il y a de l'amélioration mais encore un peu de travail...



De son côté il m'apprend une très jolie chanson chinoise pour enfants.
Le temps est au ralenti ici, une chouette étape dans notre voyage et bien la première fois que nous sommes à 100% au présent, sans trop penser à la suite.